Le changement à reculons

Sifflotant au volant de sa fourgonnette blanche, Baptiste est heureux. Pourtant, le contexte agricole s'y prête assez peu dans sa région de polyculture-élevage bousculée de tout bord depuis de nombreux mois. Même si certains cours remontent, ce n'est toujours pas la panacée dans les campagnes. Toutefois, le technico-commercial de 45 ans découvre des agriculteurs plus ouverts à la nouveauté et prêts à tendre l'oreille à tout service pouvant les aiguiller de façon plus efficace dans leur activité. Cet état de fait est à l'origine de sa bonne humeur en cette matinée automnale. Baptiste vient en effet de réussir à convaincre son quarantième agriculteur, sur les quatre-vingts de son portefeuille, à recourir au nouvel outil d'optimisation économique et environnementale de l'assolement.

Aussi, c'est le sourire aux lèvres qu'il rencontre ses cinq collègues TC dont il a en charge l'animation depuis un an. Le regard en coin, les plus âgés dévisagent Baptiste à son entrée dans la petite salle de réunion. Autant les deux plus jeunes ont bien accepté sa nouvelle mission d'animateur d'équipe, autant les trois plus anciens ont fait grise mine et traînent souvent des pieds au moindre petit changement à procéder. « Bonjour les gars, j'ai organisé cette réunion pour faire le point sur votre avancée sur le nouvel outil lancé il y a trois mois. » Les deux jeunes en parlent avec fougue, motivés par le bon accueil réservé à l'outil par leurs agriculteurs : « Ils sont emballés par le fait de pouvoir intégrer des données économiques durant toute la rotation, de faire jouer les interactions entre cultures et les simulations de nouvelles productions avec leur impact. »

Du côté des trois autres collègues, ce n'est pas la même chanson. « Pfff, je n'arrive pas à les convaincre. J'avoue que j'ai un peu de mal aussi à rentrer dedans », se justifie Gérard. « Dis plutôt que tu n'as pas fait l'effort de t'y intéresser vraiment, rétorque Baptiste, visiblement agacé par l'attitude nonchalante de Gérard. J'ai fait signer mon quarantième agriculteur ce matin. Et toi, tu en as à peine cinq. Va falloir te bouger les fesses. » Et se tournant vers les deux autres, Baptiste rajoute, « et vous aussi, les gars ». Devant le ton sec de l'animateur, les trois hommes se regardent, se lèvent et sortent en claquant violemment la porte.

Hélène Laurandel